your ass must get jealous of all that shit that comes out of your mouth (tess)

✃  You are my paradise, but maybe I'm your hell

Le cul posé sur sa chaise de bureau, Tess se masse l'arrête du nez, sourcils froncés et crayon à la main. Cinq ou six bouquins criblés de post-it lui font face. Ils sont si épais qu'on pourrait s'en servir pour assommer quelqu'un. D'ailleurs c'est ce qu'ils sont, assommants. Mais le pire, oui le pire, c'est que c'est même pas eux qui la font chier. « Tess ? Tu nous écoutes j'espère ? » La blonde acquiesce d'un signe de la tête. Sa seule lampe de bureau tamise la pièce d'une façon dramatique, tandis que la lumière bleutée de l'écran danse sur son visage désabusé. C'est pas faute d'avoir eu envie de les envoyer chier pour une fois dans sa vie, mais ce sont ses parents. Et ses parents, elle leur doit tout. C'est ce qu'elle se dit. C'est aussi ce qu'ils se disent. Et tant qu'ils sont d'accord, ma foi, le monde tourne rond. « Tu verras, il est charmant ! » Sauf que c'est un il. Et c'est bien là le problème. Elle acquiesce néanmoins d'un nouveau signe de tête. Elle a abandonné depuis longtemps l'idée de leur faire comprendre qu'elle n'est pas intéressée. Elle consent même à les voir, ces hommes qu'ils tiennent tant à lui présenter. Parce que ça les rend heureux. Moins cons, moins étouffants, moins tout. « N'oublie pas ma chérie, dimanche soir, dix-neuf heures, il passera te chercher chez toi. » Tess est sur le point de lever les yeux au ciel devant tant d'insistance, mais se retient pour leur offrir un joli sourire à la place. Elle ne veut pas gâcher sa soirée. Ni la leur. « C'est bon maman, c'est noté. » Elle leur montre un petit calepin où sont inscrites les coordonnées du gars en guise de preuve. Elle n'a pas envie de s'éterniser à les écouter palabrer sur les multiples qualités du gendre parfait. On lui a sorti le discours tellement de fois qu'elle pourrait le réciter par cœur. Et elle a mieux à faire. « Bon, je vais devoir vous laisser, j'ai encore un tas de choses à faire. Bisous, je vous aime. » Et Tess raccroche sans demander son reste. Elle ferme l'écran de son ordinateur portable tout en lâchant un soupir d'exaspération.

« C'est vraiment pas le moment. » Une paire d'yeux réprobateurs la fixe, elle, Tess, la nana qui parle à ses parents les miches à l'air, avec tout juste un haut classieux enfilé à l'arrache pour bien paraître devant la caméra. Elle s'en débarrasse d'ailleurs aussi vite pour rejoindre la sublime créature qui squatte son lit. Ses yeux se ferment sous le poids de la fatigue. Sous le poids de ce combat familial constant. « Tu devrais arrêter de leur donner de faux espoirs. » Un rictus ironique vient pointer sur le coin de ses lèvres. Comme si elle n'a pas déjà essayé. Ses mirettes se rouvrent et sa tête pivote pour faire face à son interlocutrice. « Mais oui, c'est clair. Tant que j'y suis, je peux aussi leur dire que je couche avec la nana d'un de mes meilleurs potes. Je suis sûre qu'ils seront fiers. » Le venin est craché avec tout le sarcasme dont elle est capable. Mais sitôt la phrase énoncée, une baffe vient embrasser sa joue. Tess ne cille même pas. Elle l'a en quelques sortes méritée. « Je suis désolée. » Pourquoi ? La blonde la prend dans ses bras. Une larme solitaire roule le long de sa joue. « C'est moi qui suis désolée. » C'est elle qui est venue s'immiscer entre eux. C'est elle qui ne correspond pas aux attentes de ses parents. C'est elle. C'est elle le problème. Et ça a toujours été elle.

Son bip se met à sonner. Celui de sa comparse aussi. Tess se lève machinalement, posant au passage un baiser sur son front. « On fait comme d'habitude. » Une vingtaine de minutes d'écart entre leurs arrivées respectives. Chacune sa voiture. Et si possible, chacune sur une intervention différente. Son cœur manque d'exploser dans sa cage thoracique. Sensation dégueulasse qui lui prend les tripes à chaque fois qu'elle repense à sa situation actuelle. Elle s'en rend malade. Et pour être honnête, elle ne sait pas comment elle peut faire ça à Reed, ce en continuant à lui parler comme si de rien. La question n'est plus tant pourquoi, ni comment, mais combien. Combien de temps tiendra-t-elle encore ? Combien de temps mettra-t-il avant de le découvrir ? Combien de temps mettra-t-il avant de réaliser ? Combien de temps ? Combien ? Des questions qu'elle se pose tous les jours. Et elle aimerait remédier à ça. Elle aimerait prendre de bonnes résolutions. Et elle les prend, à vrai dire. Mais dès que la blonde se retrouve devant ses yeux, devant ses lèvres, devant son sourire, ses résolutions fondent comme neige au soleil. Elle sursaute. Une main qui passe sur son dos la ramène à la réalité. Tess secoue la tête et feinte un rapide sourire. « Aller, je file. Sinon on risque de se faire taper dessus. » Et hop. Fidèle à ses paroles, la voila sur le départ. Envolée. Dans un environnement où elle sera en contrôle. Où elle pourra oublier ses problèmes relationnels le temps de quelques heures.