I will unconditionally love her, and hate her, until the end of time.

« Et tu me manques.. Ses doigts fins, fébriles, s’accrochent à ses mèches de cheveux, trop courtes, avec la crainte des fatalistes de s’effondrer et de ne jamais se relever. Mon dieu, si tu savais ce que tu me manques.. Son souffle se coupe un peu, le coeur qui s’emballe comme pour un marathon, l’air qu’elle expire et qui se perd dans le vide, comme ses mots, probablement. Je sais pas ce que tu veux, je sais pas ce que tu attends, si tu désires quelque chose de ma part ou pas, mais.. Encore une fois elle baisse le téléphone, fixe le vide et reprend sa communication. Je te le donnerais. Peu importe ce dont tu as besoin pour te sentir mieux, supérieure ou que sais-je.. Je te le donnerais, mais réponds moi. Le détecteur de mouvement s’affole un peu, la porte près de laquelle elle se trouve s’ouvre à nouveau et, par souci de pudeur, Tiffany s’écarte de la meute que le hall vomit; une famille qui vient d’accueillir un nouveau membre. Le bébé braille et le sourire de Tiff s’efface un peu. Si c’est me faire mal que tu cherches, arrête, tu as réussi. C’est fait. Je me sens vide, perdue. Je déambule sans aucun but précis, parce que sans toi je sais plus trop qui je suis. T’es fière de toi ? Elle suffoque, porte sa main libre à sa bouche, comme pour rendre la communication plus privée, plus secrète, le visage tourné vers le mur de pierre, le front qui effleure le granit. T’es fière de toi, hein ? C’est encore à toi que revient le dernier mot. Comme toujours. Faut sans arrêt que tu luttes, contre les parents, contre moi.. Surtout contre moi.. Elle se tourne, appuie le dos contre l’hôpital, cherche un soutien quelconque, le regard dans le vide. Ta fierté, bordel.. Ta putain de fierté. C’est elle qui t’empêche d’être là, de revenir ? De me revenir ? Tu m’en veux pour avoir été incapable de me dissocier de toi pendant si longtemps ? Et bien c’est fait maintenant. J’ai ma vie. J’fais mes propres choix, mes propres erreurs. Les paupières closes, elle passe sa main gauche sur son menton, parce qu’elle sent encore son odeur contre sa peau, le grain de son épiderme qui caresse la sienne et elle frissonne; de plaisir, d’horreur, de chagrin. Y a pas que toi que je perds, que je fais fuir apparemment. Mais c’est ta faute tout ça. J’espère que tu le sais. J’espère qu’on te l’a dis. C’est ta faute si je suis une incapable. Elle sourit à un infirmier du service qu’elle hante parfois, le regarde passer et reprend son monologue en chuchotant un peu plus bas. Alors tu me manques, oui.. Et si tu dois choisir, que revenir pour moi ça t’horripiles, reviens pour lui. Pour Billy. Pour ton frère, tu sais, ton petit frère. Parce qu’il a besoin de nous, plus que je n’ai besoin de toi. Sans doute. Le vibreur de son téléphone la tire de sa tirade, l’oblige à décoller l’appareil de son oreille pour réaliser que l’écran vient de s’éteindre, la batterie déchargée avant qu’elle ait le temps de finir sa plaidoirie. Et merde. Tu fais vraiment chier, Thelma! »

Elle a ce sentiment désagréable d’en revenir constamment au même point, perdue sur le parking du Memphis Wave, toujours sur les traces d’une unicité parfaite, d’une cohésion rêvée. C’est peut être pour ça que Tiffany a décidé de se battre, de s’acharner, pour être engager comme animatrice dans cet hôpital et pas un autre; parce que les murs du bâtiment sont les gardiens silencieux d’un cri poussé en harmonie, de sa main de nouveau-né chétif qui serre celle de sa soeur dans la couveuse, de sa chaleur contre la sienne qui lui donne vie, ce fil si fragile qu’elle a maintes fois failli relâcher. Tiffany a toujours été la fragile, la malade, alors que Thelma.. Ah Thelma. La force et le courage. Tout ce qui lui manque. Tout ce qu’elle admire. Ce n’est pas seulement l’amour d’une jumelle pour une autre, c’est plus que ça; Tiffany lui doit sa vie, sa première bouffée d’air. L’hôpital c’est ce cocon chaud et réconfortant qu’elle n’a pas retrouvé lors de ses premières nuits dans le domicile familial.. Memphis Wave c’est le dernier lien qu’elle a avait ses origines, avec Thelma le fantôme, Thelma l’invisible, Thelma la fuyante. « Elle dit qu’elle t’embrasse fort, mais avec le patron qu’elle a, elle ignore si elle pourra venir aussi vite qu’elle le veut.. L’important c’est qu’elle pense à toi. » La voix du père, lointaine, douloureuse, quand Tiffany passe la porte de la chambre, l’air ahurie. « Vous avez réussi à joindre Thelly’ ? » L’incompréhension déchire ses traits paisibles, la jalousie aussi et son épaule qui s’agite, repousse la main hésitante d’une mère répugnée. « A l’instant, oui. Pourquoi ? » Parce que je l’ai encore raté, s’entend dire Tiff, les lèvres closes, coincées dans un demi-sourire qui n’en est pas un. Le coeur fendu, les larmes qui menacent et la main de Billy qui l’invite à s’approcher, à un contact tiède et rassurant. Quel ange celui-là, à aimer son aînée quand elle manque à tous ses devoirs, constamment, qu’elle le blesse sans le vouloir, qu’elle l’oublie, qu’elle le hait. Qu’elle l’aime. « Hé, Goof’.. C’est pas grave, tu es là au moins. C’est faux. Il préfèrerait Thelma, ils préfèrent tous Thelma. Tu m’apportes le verre.. » Il tend un index pâle vers la tablette, Tiffany se relève et tout se passe trop vite. La main retombe lourdement sur le matelas, un cri s’échappe de sa mère et une alarme retentit dans la chambre et le couloir. Electrocardiogramme plat. L’agitation, la confusion, le lit qu’on tire pour courir vers un bloc qu’une infirmière réserve d’un ton professionnel, surtout exigeant. « Désolée.. » Ses doigts ont lâché leur prise, le gobelet qui s’écrabouille par terre, l’eau qui se répand. C’est pas grave, qu’on lui susurre, un jeune homme qui l’aide à ramasser, ses parents qui se précipitent jusqu’à la dernière porte qu’on leur autorise à passer, avant la séparation et Tiffany, toute seule.. Qui culpabilise pour avoir renverser un verre.

Ses doigts s’affolent un peu, le gobelet qui rejoint des cadavres de seringues vides, dans une poubelle pleine. Les articulations en feu, des mouvements perturbés et le coeur qui s’affole, comme l’horloge dans son ventre; elle a faim, elle a sommeil, elle voudrait être ailleurs, elle veut rester là et puis.. Son regard qui se pose sur sa silhouette, dans le couloir pas assez grand pour l’éviter. C’est la dernière personne qu’elle veut croiser et, en même temps, Tiffany sait bien que c’est probablement la seule qui pourrait faire quelque chose, comme la calmer. Ses yeux caressent son visage, puis se clouent sur la jeune femme avec elle, patiente ou collègue, amie ou plus, Tiff prend un air neutre, faussement calme, cruellement blessé. Demi-tour. Elle cherche la sortie, mais se retrouve au service obstétrique, le nez devant la nurserie où des bébés gigotent, développent leur talent pour s’extirper de leur gigoteuse improvisée. « Ça serait bien que tu viennes, maintenant.. Ses doigts ont pianoté tellement vite son numéro, que Tiff vérifie qu’elle a vraiment appuyé sur le bouton vert. C’est la merde ici. Y a eu un accident, un gros, très gros. Pas de l’ampleur de Tchernobyl et pas aussi radioactif, mais voilà.. Billy est au bloc. Encore. Rentre, putain. Rentre. » Elle raccroche à peine quand un bras s’enroule autour de son cou, qu’elle reconnaît la force de son père et sa chaleur, si rare. Ça lui fait un peu mal au coeur, parce qu’elle arrive pas à se souvenir de quand date la dernière embrassade de son père, avant celle-ci.. Peut être de l’année dernière, à son retour d’une visite chez Thelma. « Venez avec moi, j’ai un truc à vous montrer. » Et elle les emmène dans son antre, dans sa bulle; le service pédiatrique, coloré, où des gamins s’éveillent et s’illuminent.. Tiff dans le coin, c’est la nouvelle d’un bon moment et même si elle a pas vraiment la tête qui tourne rond, elle donne à ses larmes, qui coulent pas, l’apparence de rires qui fusent, tandis qu’un des gamins lui raconte la dernière lubie d’un résident du coin. Les autres. Toujours les autres, avant elle-même; c’est comme ça que Tiffany tient le coup. Qu'elle oublie que Thelma n'est qu'une salope égocentrique, que son frère va mal et qu'elle vit sans elle.

James Arryns a écrit:

Bonjour!  On se connait non?
Je l'aime pas autant que Franny parce que Franny c'est ma mienne, mais toi j'te kiffe!