« Ma chérie,
Si aujourd’hui tu lis cette lettre, cela signifie que je ne suis plus de ce monde. Mais ne sois pas triste, saches que je serai toujours près de toi, quoiqu’il arrive. Tu resteras toujours ma petite fille, ma petite Ryan, ma fierté. Il y a tellement de choses que j’aurais aimé te dire mais à chaque fois que l’occasion se présentait, j’avais le sentiment que ce n’était pas le bon moment. Alors voilà, le sept juillet mille-neuf-cent-quatre-vingt a été le plus beau jour de ma vie, le jour où j’ai enfin pu te serrer dans mes bras pour la toute première fois. Tu étais si petite et si mignonne, tu paraissais si fragile. Tu sais quand ton père et moi avons su que nous allions avoir un enfant, nous étions les plus heureux du monde. Il était militaire et moi j’étais infirmière au front, en Irak. C’était si dangereux là-bas, mais nous nous aimions et nous souhaitions avoir une famille malgré tout cela. Ton père a versé une larme lorsqu’il t’a vu la toute première fois. Ce n’était pas facile d’élever une petite fille en tant de guerre mais nous étions plus forts que tout ça. Et puis quand ton père est décédé, j’étais dévastée, je l’aimais énormément. Mais tu étais toute petite et tu avais besoin de moi. Heureusement, tu ne comprenais pas encore ce qu’il se passait, alors tu ne pouvais pas être triste comme je l’étais. Et puis quand tu as eu deux ans et demi, j’ai réalisé que le monde dans lequel nous vivions était dangereux et qu’il nous fallait rentrer à Boston, là où ma famille se trouvait. J’ai pris un poste dans un hôpital nous loin de chez nous et tu as pu grandir dans un endroit sécurisé, une ville où les tirs et les obus ne tombaient pas du ciel. Et puis ta grand-mère était folle de toi, je ne sais pas si tu te rappelles mais c’est elle qui t’a appris à faire des gâteaux, et ton grand-père, il était comme un enfant en ta compagnie, il t’a appris à faire du vélo et à t’occuper du jardin. Tu avais une famille qui t’aimait, des tantes, des oncles, des cousins et cousines. Tu étais heureuse et c’est tout ce qui m’importait. Je n’ai toujours vécu que pour ton bonheur tu sais, et c’est ce que font tous les parents. Tu comprendras quand à ton tour, tu auras des enfants. J’espère avoir eu la chance et le temps de les connaître, avoir pu partager ce lien unique que tu partageais avec mes parents. Si ce n’est pas le cas, je le regrette énormément et j’espère que tu leur parleras de moi comme d’une grand-mère qui les aurait aimés, tellement fort. Je me souviens de chaque moment que nous avons passé toi et moi, je me souviens de tes premiers pas, de tes premières dents, de tes premiers cours de danse classique. Qu’est-ce que tu adorais danser avec ton tutu blanc et tes chaussons de danse. Tu étais tellement heureuse quand tu dansais que j’ai gardé chaque photo que j’ai faite de toi. Et puis je t’ai transmis ma passion de la photographie mais aussi de la médecine. J’étais si fière quand tu m’as dit que tu voulais être infirmière comme moi. Mais je savais que tu avais les capacités d’aller beaucoup plus loin. Et je ne m’étais pas trompé. Après ta période garçon manqué défenseur des plus faibles à l’école –ce qui m’a rendu très fière de toi, ta période un peu rebelle au collège et la jeune femme féminine qui a fait son apparition au lycée, tu t’es lancé dans des études de médecine, et tu es devenue cette brillante chirurgienne dont je suis fière aujourd’hui. On en a traversé des épreuves toi et moi, des jolis souvenirs comme des douloureux. Tes premières larmes devant un Disney quand tu n’étais qu’une enfant, l’incendie chez les voisins quand tu n’avais que neuf ans, ton premier chagrin d’amour au lycée, ta première déception lorsque tu as loupé ton permis, ton premier –et je le souhaite- dernier accident de voiture, ta remise de diplôme, tes longues années d’études à Boston, tes nouvelles déceptions amoureuses, la joie d’obtenir ton diplôme de chirurgien. Pour tout ça, toutes ses émotions que nous avons partagé ensembles et qui ont rendu ma vie meilleure, pour tous ses moments inoubliables passés à tes côtés, nos fous rires et nos disputes, pour tout ça je voudrais te remercier. Tu as fait de moi, la femme mais surtout la mère la plus heureuse et la plus fière en ce monde. Alors je tenais à te dire tout ça, à te dire à quel point je t’aime et à quel point tu comptes pour moi, plus que ma propre vie d’ailleurs. Mais il y a également des choses que tu dois savoir, des choses que j’aurais du te dire depuis si longtemps mais dont je n’ai jamais eu le courage de parler. Tout d’abord ton père. Lorsque nous nous sommes rencontrés à la guerre lui et moi, nous sommes très vite tombés amoureux, nous étions jeunes et loin de nos familles et les choses ont fait que nous nous sommes rapprochés. Mais ton père avait une autre vie, chez lui en Caroline. Il avait une autre femme, mais surtout un petit garçon, qui est né deux ans après toi. Tu as un demi-frère Ryan, un homme aujourd’hui, qui comme toi, n’a pas eu l’occasion de passer beaucoup de temps avec son père. Cet homme fait partie de notre famille, de ta famille désormais. Saches que même si je ne suis plus là, tu n’es pas seule, mes parents sont peut-être toujours là pour moi, mes sœurs et frères et tes cousins cousines sont toujours là pour toi, mais surtout, le plus important c’est que tu as un petit frère. Ce petit frère que tu as toujours rêvé d’avoir et que tu me réclamais étant petite. Il existe, je ne sais rien de plus hormis son nom. Je l’ai écris derrière cette feuille, si tu ne veux pas savoir de qui il s’agit, tu n’auras qu’à replier ma lettre après l’avoir lu, mais si tu veux connaître cet être qui fait partie de ta famille et qui partage ton sang, alors saches que son nom se trouve derrière mes mots. Je sais que c’est injuste que tu apprennes ça de cette façon et surtout maintenant que tu as grandis. J’espère que tu ne m’en voudras pas mais je ne pouvais me résoudre à détruire cette image de héros que tu avais de ton père. Et puis les années ont passé et j’ai pensé qu’il était trop tard pour aborder le sujet. Je te connais et je sais que tu en voudras à ton père, et peut-être même à moi, mais saches que j’ai fais ça pour te protéger, et que je le referais si c’était nécessaire. Alors aujourd’hui je veux que tu sois forte, je veux que tu continues à vivre et à avancer parce que tu es une femme extraordinaire et que je t’aime comme tu es. Quand tu m’as annoncé que tu aimais les hommes et les femmes, je ne t’ai rien dis, je n’ai pas bronché, je t’ai accepté comme tu étais. Ça a été une nouvelle plutôt inattendue, mais comme tu me l’as si bien dit « on aime un cœur, une personnalité, pas un sexe. On ne juge pas les gens sur les orientations ou leurs actes mais sur leur cœur. » Et moi je ne t’ai pas jugé, je t’ai accepté comme tu étais parce que je sais que ton cœur est pur, et je sais que Sara est une femme magnifique et gentille, elle est celle avec qui tu te sens bien, alors j’espère bien vous voir vieillir ensembles aussi longtemps que j’en aurais le temps. Et puis il y a eu Heidi, tout d’abord, ce concept du couple à trois m’a tout d’abord surprise, mais je l’ai accepté aussi, parce que tu es ma fille, et rien que tu puisses faire ne me fera renoncer à toi. Tu sais, ton frère n’a rien à voir avec ce qu’a fait ton père, il ne l’a jamais connu, alors j’aimerais beaucoup que tu ne lui en veuilles pas et que tu l’acceptes dans la famille comme j’ai accepté Sara et la petite Heidi, parce que souviens-toi, on ne juge pas une personne sur les actes de ses parents mais pour ce que cette personne est vraiment. Alors vas-y, lances-toi, vas le voir, apprends à le connaître, rattrapez le temps perdu ensembles et soyez la famille que vous méritez tous les deux d’avoir.
Je suis si fière de toi ma Ryan. Ici s’achève ma lettre, mais mon amour pour toi n’a pas de faim. Saches que je t’aime, et que je t’aimerai toujours, quoiqu’il arrive.
Pour toujours et à jamais,
  Je t’aime, maman. »

Je fonds en larmes et relis de nouveau la lettre. Je n’arrive pas encore à réaliser qu’elle est partie, qu’elle a quitté ce monde et que je suis désormais toute seule. Alors tout doucement, je retourne sa lettre. Dans ma tête, je vois son visage qui me sourit et me pousse à être heureuse. A travers mes larmes, le papier est flou mais j’arrive à distinguer : Alistair Holloway, 04/08/1982. Je prends alors mon ordinateur portable et tape son nom et sa date de naissance sur le net. Je tombe alors sur un article de journal vantant les qualités d’un chirurgien cardiaque d’un hôpital de Caroline. Je fais alors mon sac et écris un mot pour Sara et Heidi, les deux femmes de ma vie. Dans cette petite note, je leur explique que je pars pour la Caroline et que je reviendrai bientôt. Ce n’est qu’en arrivant là-bas que j’apprendrai que mon frère vient en fait d’être engagé dans l’hôpital où je travaille à San Fransisco. Je prends ça comme un signe du destin, un moyen que ma mère a trouvé pour nous rapprocher.

Trois mois plus tard, je suis toujours sous le choc de la mort de ma mère. Je relis régulièrement sa lettre et je pleure pour évacuer ma peine. Heureusement, Sara et Heidi sont là pour moi, elles m’aident, me soutiennent et m’aiment comme il le faut, assez pour m’en sortir et me donner la force de continuer. Assez pour que je me rende compte que le bonheur existe toujours et qu’il est là, juste autour de moi. Sara, c’est le feu, le caractère, c’est cette femme que j’ai pu convaincre de construire une histoire avec moi il y a un peu plus de deux ans, cette sexy résidente en traumatologie que j’ai appris à connaître et à m’aimer. Heidi c’est la douceur d’une brise d’été, c’est cette jeune laborantine dont je suis tombée amoureuse malgré moi. C’est cet être innocent que j’ai convaincu d’entrer dans ma vie, dans mon couple. Elles m’aiment et je les aime, c’est que ce qui m’a sauvé.

Alistair, lui, travaille à l’hôpital. Il a l’air sympathique mais semble draguer toutes les femmes qu’il croise. Je ne lui ai pas encore adressé la parole. C’est idiot mais j’ai peur. Sara et Heidi me poussent à aller lui parler mais je ne saurais pas quoi lui dire. Cependant, je suis bien consciente qu’il faut que je prenne mon courage à deux mains. Mon petit frère est ici et j’ai très envie de le connaître.