– everything you touch turns to gold (w/harry)

On n'entend que le bruit de la cuillère qui claque contre le bord de la tasse. Wilhelm en est à son sixième café de la journée, qui touche à sa fin – pour lui – puisqu'on avoisine bientôt les dix-sept heures. À droite de la tasse s'entasse trois crèmes à café, ça ressemble plus à un café au lait et s'il en restait, Willy aurait sûrement pris un ou deux croissants pour le goûter. Mais il n'y en a plus, rupture de stock comme tous les jours à cette heure – et notre psychiatre a beau râler sur la direction de la cafétéria, ça ne change rien et c'est visiblement pas prêt de changer un jour.
Il soupire. Petite pause tranquille, la journée a été légère, il n'a plus qu'à passer voir un dernier patient pour s'assurer de son évolution sereine. Son portable vibre à côté de lui, il sourit, pense sûrement à une conquête, ou une chamaillerie, peut-être que c'est Payton qui se demande où il est, qui l'attend à l'appartement. Ou peut-être pas, en fait, peut-être que personne ne l'attend nulle part. Il chasse tout ça de ses idées et le consulte directement.
Salut Buddy, regarde, elles ont envie de toi. Photo qui accompagne le texte : un beau fessier que, malgré-lui, il reconnait.
Signé Harry. Harry. Wilhelm serre les dents, les muscles, même son coeur se serre un peu. What the fuck. Dans sa tête, il n'comprend pas, il n'essaie pas de comprendre, ça le met juste en rogne sans qu'il sache vraiment pourquoi. A quoi est-ce qu'il joue, le Beauchamp ? Non mais sérieux ! Ça fait des mois que c'est terminé. D'ailleurs, quand ça plait à Willy, il dit même qu'il ne s'est rien passé. Qu'y a rien eu. Que c'était juste un truc de passage, un truc un peu foireux, une expérience qu'il tait plus que tout, comme une maladie. Une maladie dégénérative puisqu'il a récidivé y a pas si longtemps. Comme si c'était un crime, tiens. Son portable vibre de nouveau, il ne sait pas s'il ose le regarder ou s'il va plutôt le balancer par la fenêtre. Oups, désolé, mauvais destinataire.

Il se lève, furieux. Ses dents lui font mal, on n'a pas l'habitude de voir notre cher Dr. WW dans cet état. Lui d'habitude si léger, si tranquille, si inconscient de tout et même des pires scandales dans le monde. Mais ça, non. Il ne tolère pas. Il se fout clairement de sa gueule ce p'tit pédiatre ! (un autre mot lui aurait bien traversé l'esprit, mais il a décidé d'être intérieurement poli)
Il traverse la cafétéria comme un forcené. Ne se pointe même pas devant l'ascenseur et grimpe déjà les escaliers. Il déboule dans le service de pédiatrie comme un malade mental – sympa la comparaison pour un psy, avouons – et trouve rapidement son coupable. Il se plante devant lui, le dévisageant de son regard bleu et perçant. « Hé, dis, ça t'amuse ? » lance-t-il sans même un bonjour, d'un ton légèrement agressif. Qui a osé dire qu'il n'était pas sanguin et impulsif, Willy, derrière ses airs de petit garçon jovial ?

Encore une heure de garde et ma journée se terminée. Je pourrais enfin rentrer chez moi et … Vivre une vie un peu plus normale peut-être ? J'en sais rien à vrai dire, mais peu importe. Même si j'aime mon boulot, je suis quand même content de partir ce soir. Je ne sais pas encore quoi faire exactement. Mais j'ai des idées qui me traversent l'esprit.
Ou plutôt une que je m'empresse de mettre en œuvre. Je me cache dans les toilettes, utilisant les miroirs et envoie une invitation plus qu'explicite. Sauf que je fais une boulette qui n'arrive qu'à moi. Mauvais destinataire et pas moyen de revenir en arrière ! Panique à bord ! Quoi faire ? Comment faire ? Le message est envoyé, reçu. Pourquoi les bugs de téléphone n'arrivent jamais quand on a besoin d'eux ?
Je me rends compte à qui je l'ai envoyé en plus. Génial, j'suis pas dans la merde … Bon, pour me couvrir, j'envoie un second message d'explications. De toutes façons, je m'en fous de lui. Il a reçu une invitation et une photo de mes fesses. En même temps, il les connaît déjà, même s'il a fini par les remballer à tort. Je retourne donc à mes petites affaires.
Dix minutes plus tard … Voilà un ouragan qui débarque en face de moi. Je suis dans un couloir vide et peu éclairé (j'adore cette ambiance). Je mets à jour un dossier sur papier, installé sur un brancard vide. Il est devant moi et il est furieux. « Génial ... » me dis-je à moi-même. À sa réplique, je réponds par un simple « Me suis trompé de destinataire. » et retourne à mon dossier comme si de rien était.

Furieux, c'est le prénom de l'état dans lequel il se trouve. Il serre les dents devant le clair manque d'intérêt de son interlocuteur. Ça le met encore plus hors de lui, lui donne envie de le gifler, mais pourtant, Willy ne se voit pas lever la main sur Harry.
Avec sa gueule d'enfant, il fait clairement plus jeune, et le fossé se creuse. Plus jeune et pourtant tellement plus à l'aise que lui avec tout ça. Wilhelm se sent déstabilisé, assommé, un peu frustré, aussi. « Tu peux me regarder quand je te parle. » marmonne-t-il avec la voix d'un âgé qui engueule un enfant indiscipliné. Il lui pose une main sur l'épaule, le contact le fait frémir alors qu'il n'est ni doux ni tendre, juste autoritaire. « J'y crois un peu pas trop à cette excuse bidon, on sait tous les deux que c'était pas une coïncidence que ça tombe sur moi et que ça atterrisse dans ma messagerie. » Il aimerait rajouter qu'il n'a pas le droit de s'amuser avec ça, de le faire tourner en bourrique, de lui rappeler des mois après qu'il a eu aimé cette affaire, qu'ils se voyaient, qu'il l'a lâché, qu'il lui a fait du mal. Mais Willy, lequel est à blâmer dans cette histoire ? Est-ce vraiment Harry ? Il serre les dents, son imbécile de conscience a raison, mais ça non plus il n'est pas prêt de l'avouer. Il le lâche, recule de quelques pas et pousse un profond sourire avant de mettre ses mains sur ses hanches, se demandant quelle est la meilleure façon de réagir. La plus raisonnable aurait été de lâcher l'affaire, d'accepter l'excuse de l'erreur, de tourner les talons, d'oublier ça, de rentrer à la maison.
La vérité, c'est que Wilhelm n'a jamais été quelqu'un de raisonnable.

Non, je n'ai pas envie de regarder ta sale gueule quand tu me parles. Tu n'en vaux pas la peine alors tu ferais mieux de dégager. P'tain, dire qu'il y a encore quelques mois, j'étais dingue de ce mec. Aujourd'hui, j'ai juste envie d'être seul et me demande si je ne ferai pas mieux de prévenir un service de sécurité ou quelque chose du genre.
Wilhelm pose sa main sur mon épaule. Attention ! Touché un homo peut rendre soi-même homo ! Con comme il est, Weiss est capable de croire à cette histoire. Il est en colère à cause du SMS. Je ne comprends pas sa réaction. Je me suis trompé, ça arrive à tout le monde malheureusement. Bien sûr, il faut que ça tombe sur la personne à qui il ne fallait pas que ça arrive ! Comme par hasard !
« Faut te calmer là, ça devient grave. » Je ne savais pas que le deuxième prénom du médecin était « paranoïaque ». Normalement, ce n'est pas lui qui diagnostique ce genre de problèmes à ses patients ? Assez ironique quand on y pense. « Je me suis trompé. » dis-je à nouveau en insistant sur chaque mot.
« Ça peut arriver à tout le monde. Sauf peut-être à toi, Monsieur Parfait. » rajoutais-je, en fusillant du regard Wil'. « Quoique, j'ai oublié, tu ne te trompes jamais toi. Tu ne fais jamais d'erreurs toi. » Pourtant, tu as fait l'erreur de me sauter pendant tout ce temps, pour toi. « D'ailleurs, j'ai oublié, t'es tellement parfait que tu chies jamais toi. » finis-je par conclure.

Il essaie de le calmer, mais plus il s'acharne, plus ça énerve Weiss. Il le fusille à son tour du regard quand il l'appelle monsieur Parfait, parce que ce genre de trucs, ça l'énerve au plus haut point. Il mérite sûrement tout ça, mais sur le coup il est bien trop énervé et fier pour s'en rendre compte. Les mains sur les hanches, il soupire en secouant la tête, levant les yeux au ciel comme un gamin de six ans. « Ohhhh je t'arrête de suite ! Des erreurs, j'en fait, y en a une qui porte même un nom, tu veux savoir c'que c'est peut-être ? » Il a haussé la voix, heureusement les bureaux sont vides, les couloirs sûrement aussi – ou bien avec un peu de décence, personne n'ose entrer.
Il râle tout haut, grogne un peu et se détourne. Les points serrés, il frapperait bien dans un mur, mais la dernière fois, il a atterrit aux urgences, ici-même, parce que sous la colère, il s'était fracturé un petit os du poignet. Autant dire que c'est con, mais que c'est chose courante quand on est impulsif comme notre Wilhelm. « Bon écoute... » reprend-il (un peu) plus calmement en posant ses yeux clairs sur le pédiatre. Il pointe son doigt sur lui. « Ok, ok, tu t'es trompé. J'veux plus jamais entendre parler de cette histoire parce que c'était... » ... parce que c'était rien. Mais les mots n'sortent même pas, monsieur le rigolo. Est-ce que c'était vraiment rien, Willy ?

Non, je n'ai pas envie de regarder ta sale gueule quand tu me parles. Tu n'en vaux pas la peine alIl n'y a que Wilhelm pour faire toute une histoire pour ce SMS, malencontreusement envoyé par erreur. Une autre personne en aurait certainement rigolé au final et j'aurais été plus humilié et gêné qu'autre chose. Mais là, avec Weiss, je suis avant tout énervé. Énervé par moi-même et ma nonchalance sur ce message. Énervé contre le docteur qui voit le mal dès qu'il est question de moi.
« Oh mais j'adore être une erreur dans ta vie parfaite, ça me fait bien plaisir. » lançais-je. C'était petit et gratuit, mais ça fait du bien de le lancer. Même si je ne suis pas ravi d'énoncer à haute voix que je suis une erreur dans la vie de Wil'. « Dis-toi que toi aussi, ton prénom est sur le dossier d'un gros regret de ma vie. » Là c'était vrai : je regrette de m'être enflammé pour rien à la fin.
Weiss et moi-même tentons de nous calmer. Je respire progressivement et arrive à « penser à autre chose ». Wilhelm a l'air d'en faire de même de son côté. Il détourne le regard, se retient peut-être de frapper quelque chose (voir quelqu'un … Moi ?). Finalement, il finit par conclure que c'était une erreur. Tout ça, pour ça ? Je lève les yeux au ciel.
Je me dis, encore et encore, de ne pas relancer le sujet. Ça ne servira à rien : avec le docteur, ça sera comme me taper la tête contre un mur. Je tente, à la place, de finir sa phrase : « Rien parce que le message n'était pas pour toi ? Gênant vu son contenu, qui n'avait pas pour but de te mettre mal à l'aise ? Les deux peut-être ? » lançais-je, plus sarcastique que jamais.

Oui, bon... Il s'est un peu trop emporté. Mais Wilhelm est comme ça, puis entre nous, à cet âge, on ne se refait pas. Il regrette son excès de colère d'avant, ses mots acides qui retournent le couteau dans une plaie dont il ignore l'état de cicatrisation. Contrairement à ce qu'on pourrait croire, Willy aussi a souffert dans cette histoire. C'est pas facile d'avoir le rôle du connard. Ni de mettre fin à une relation soi-même alors qu'on est impliqué dedans... et qu'on ressent quelque chose. Parce que oui, même si l'idée d'avoir des sentiments ou rien qu'une attirance pour un mec était frustrant pour l'allemand, ça a bel et bien existé. Il est un peu blessé d'apprendre qu'il n'est qu'un regret dans la vie du pédiatre, mais au fond, peut-être n'a-t-il que la monnaie de sa pièce.
Alors, là, il est un peu gêné, surtout quand Harry emploie ce ton si sarcastique ensuite. Mal à l'aise soudainement, il descend de son piédestal pour se confronter à la réalité ; et à toute sa connerie. Il soupire, passe la main dans sa nuque, comme un ado quand il ne sait pas quoi faire pour retrouver sa contenance. Ce qui est un peu le cas de Willy : un éternel adolescent, qui enchaîne les conneries, s'excuse comme il peut, incapable de se poser. Il n'est adulte que dans son boulot. Et on ne sait pas vraiment si c'est positif ou triste. « Désolé... » lâche-t-il alors, sans que l'on sache vraiment s'il s'excuse pour sa réaction démesurée à l'instant, ou bien pour tout l'épisode de leur histoire.

Je regarde Wilhelm. Il a l'air mal à l'aise. Non … Il est mal à l'aise. Est-ce à cause de moi, de ma présence ? Paranoïaque comme je suis, je me méfie de tout. Ou alors, est-ce possible qu'il soit mal à l'aise par rapport au SMS ? Si je peux me permettre, ça doit être moi qui doit me sentir ainsi, pas lui. Même s'il connaît très bien mes fesses.
Je le regarde, regarde à gauche puis à droite. Je dois admettre qu'il me manque, que sa présence et ses conversations me manquent. Notre relation aussi me manque. Certes, je me suis fait des films mais j'ai aimé. Puis sexuellement, c'était très chaud. Et ça, c'est un point non négligeable avec moi. Bon sang, pourquoi est-ce que je dois tout rapporter au sexe ?
Harry, arrête de penser avec ton boxer pendant 5 minutes ! D'autant plus que Weiss me donne l'occasion d'y penser. Il s'excuse. Je suis surpris. Je ne dis rien (pour une fois). Il a l'air désolé en plus, il est sincère. J'avale ma salive et ne dit rien. Vite, j'dois trouver un truc à dire. « Si tu veux ... » commençais-je à dire. « Tu peux terminer ce dossier avec moi. »
Je lui montre le fameux dossier que je tiens dans ma main. Je n'ai pas forcément besoin d'aide, mais si ce petit moment peut aider à nous rapprocher, à faire la paix en quelque sorte. D'un signe de tête, je lui montre la place à côté et me retiens de dire qu'il devra s’asseoir à mes côtés. Ce n'était pas le moment pour ça.