le xanax dans les veines (reagan)

It is a fool's prerogative to utter truths that no one else will speak.

Une interview c'est toujours une pièce de théâtre, toujours supposée être une belle prestation avec de beaux mots et un beau costume. Une interview c'est jouer la comédie pour essayer d'être naturel – c'est mentir comme un arracheur de dents pour donner une image honnête de soi même. Donc, non, Reagan n'a jamais travaillé dans une pharmacie avant, n'a jamais vu l'intérieur d'une ambulance, et en plus elle est terriblement impatiente, un joli petit défaut qui n'avantage personne. Reagan est ambitieuse mais aussi très bordelique, un autre souci, mais c'est facile de tourner l'imparfait au parfait. L'interview c'est un art appliqué et Reagan est artiste des petits mensonges. Elle charme facilement aussi, un sourire au début, un rire au milieu, une blague de bon gout à la fin – le tour est joué en moins d'une demi-heure. L'homme qui lit et relit son curriculum vitae est plus vieux, plus myope surtout, mais il sait le genre de personne qu'il veut embaucher. Reagan l'a lut dans son regard dès leur bonjour – il était intéressé parce qu'elle lui a serré la main juste comme il faut, et puis elle a étalé sa science sans non plus faire l'arrogante. Ils ont parlé de médicaments orphelins et de médicaments biologiques et elle l'a eu dans sa poche sans même qu'il s'en aperçoive.
    Être assistante c'est pas un rêve où la fin d'une carrière, c'est un tremplin obligatoire, c'est une année pourrie et puis une deuxième année plus tolérable. C'est faire patienter les gens pendant que les médocs qui pourront ou ne pourront pas les guérir se fassent empaqueter. C'est aussi remplir des fiches, des formulaires, des dossiers entiers sur des inconnus, trier des ordonnances, passer la moitié de ses jours les yeux rivés sur un écran alors que le monde qui passe se fout d'elle, se fout de sa blouse blanche et de son salaire minable. Mais elle est pas la seule  à ramer ici, à tout intérioriser, parce que travailler dans un hôpital c'est comme être au premier rang d'un concert : c'est être capable de tout voir et tout entendre. Personne d'autre dans sa promo de classe peut dire pareil. Travailler ici c'est plus d'expérience que travailler dans une pharmacie de rue où les gens achètent plus de savons que de médocs ou de sirops.
    « Et l'intérim est malade, une bonne bronchite il me dit, donc il faudra rester plus tard. » Cette phrase, Reagan l'entend une fois par semaine. Une fois par semaine, son supérieur rajuste ses lunettes et la regarde d'un air un peu désolé mais sans trop en faire non plus. Dans le fond, il s'en fout un peu lui aussi. C'est pas lui qui trie les gélules par couleur et par taille, qui fait le ménage, et qui doit se demerder avec un clavier de PC des années 2000. C'est pas lui qui doit sauter des cours parce que l'intérim, un mec aussi intelligent qu'un pot de fleurs, décide de pioncer au lieu de faire face au monde comme les galériens un peu plus ambitieux. « Vous l'avez embaucher pour quoi, exactement ? Sa belle gueule ? » Reagan demande. Son supérieur est peut-être plus âgé mais il aime rire, surtout avec un travail comme celui-ci. Après tout il y a rien de facile dans un hôpital, mais Reagan s'en fout des coups durs. Ici il y a une chose qui met tout le reste en perspective : être en bonne santé. C'est plus qu'un privilège, c'est quelque chose à respecter. Donc Reagan s'en fout d'avoir les yeux fatigués, d'avoir une vie sociale bancale, d'avoir un train de vie trop rapide et trop lent à la fois. Au fond, c'est ici que sa vie commence, même après vingt-cinq ans.  

quels choix   j'adore déjà ce que t'as écris, hâte de lire la suite, bienvenue