- smoke and mirrors.

✃  You are my paradise, but maybe I'm your hell
« Je vais aller retrouver maman. »
Il abaisse à peine ses lunettes pour regarder par-dessus. Son fils se tient en face de lui. Il le considère quelques secondes – tout au plus – sérieusement, avant d'esquisser un sourire qui ne transpire aucune joie. Juste un sarcasme désinvolte. « La retrouver ? Essaie toujours. » lâche-t-il avant de faire rouler son briquet entre ses doigts et d'en faire jaillir une flamme vacillante qui attise le bout de la malboro qu'il vient de glisser entre ses lèvres. « Ouais, ben je vais essayer, justement. Toi, t'es jamais là, et j'en ai plein le cul de vivre ici. Alors je vais aller voir si elle, au moins, elle veut bien de moi. » Un rire malsain s'échappe des lèvres du père. « Elle voudra pas de toi, sinon elle t'aurait pas abandonné dans mes bras quand t'as pointé le bout de ton nez y a dix-huit ans en arrière. » Il fait une pause, presque théâtrale, qu'il ponctue par un nuage de fumée opaque. « Puis t'façon, tu la retrouveras pas. »
Le gamin fronce les sourcils, vexé d'être pris si peu au sérieux.
Son père ne l'a jamais pris au sérieux, de toute façon. En fait, il ne l'a même jamais pris dans ses bras. Élevé dans ceux de nourrices diverses et variées, l'adolescent n'a toujours connu de son paternel qu'une présence éphémère, un argent doré dont il ne voulait pas, un confort pré-conçu d'où ne lui parvenait aucune chaleur. « Je vais la retrouver. » répète-t-il, plus fort mais les dents serrées. « Ta mère n'était qu'une trainée, mariée, qui n'a pas voulu de toi puisque moi, son amant d'une nuit, l'ai engrossée sans que ça soit prévu dans son planning ! » Le père a haussé la voix. Il s'est levé, a posé ses lunettes sur son bureau XXL en marbre. Cette matière froide, inconfortable, lisse et indifférente. Exactement comme lui, en fin de compte.
Wilhelm accuse le choc. Du haut de ses dix-huit ans, il lui semble que tout son monde s'écroule. Dire qu'il lui a toujours raconté qu'elle était partie à sa naissance, incapable d'assumer un enfant. Pas qu'il était le fruit d'une liaison extraconjugale.
Il hausse les épaules, encaisse, et tourne le dos à son géniteur. « Je vais la retrouver, et rien ne m'en empêchera pas. Sûrement pas toi. » Sa voix pulse de colère. « Moi, non. Mais la mort, oui. »
Wilhelm se retourne lentement. Est-ce qu'il s'agit de menaces voilées ? Il pose sur lui un regard noir et recule de quelques pas. « Je ne suis pas mort. » articule lentement le jeune en fixant son père sans ciller. Ce dernier soupire profondément, lève les yeux au ciel et enfouit ses mains calleuses dans ses poches. « Je sais. Mais elle, oui. »

(...)

« Docteur Weiss ? »
Wilhelm lève la tête. Miranda, sa secrétaire, ne l'appelle que rarement comme ça. Avec elle, c'est toujours « Docteur WW », même « Willy » parfois.
Jamais Weiss. Alors, il se lève. Il sent dans sa voix que ce n'est pas une plaisanterie, qu'elle ne va pas lui parler de son nouvel petit-ami, qu'il n'a pas le droit de la charrier sur le fait qu'il sera peut-être un moins bon coup que lui. Il plisse les yeux. « Miranda ? »
Elle baisse les yeux. Non, décidément, tout cela ne lui ressemble pas. Willy passe ses mains dans ses cheveux. Il est dix-neuf heures, la journée touche à sa fin pour lui, surtout pour elle. Mais elle est encore là, et elle ne semble pas l'avoir appelé pour lui demander congé.
Non, elle ne semble même pas avoir envie de bouger. « Miranda, qu'y a-t-il ? » Il s'approche d'elle, pose une main sur l'épaule gracile de la jeune femme. Elle tressaille. « Je suis.. désolée, Docteur Weiss. »
Le silence qui tombe est comme une lame s'enfonçant dans du beurre. Il creuse un trou profond, qui sépare Wilhelm de Miranda, de son bureau, de l'hôpital, de lui-même. Il lui semble être ici et pourtant à mille lieux.
Puis, sa secrétaire reprend la parole. Enfin. Il aimerait bien être comme d'habitude. Rire, lui dire qu'elle est jolie, la séduire, la charrier de cette soirée où ils ont dérapé, la laisser partir plus tôt pour qu'elle retrouve son prince charmant, la complimenter, raconter la dernière blague qui circule, parler légèrement de la météo, lui demander conseil sur un dossier.
Mais aujourd'hui, il a les traits tirés. Tendu, il retire sa main comme si le contact le brûlait soudainement. Mais c'est la vérité qui s'impose à lui qui commence à le cramer.
Sa carrière a toujours été brillante. Aucun échec, ses cas se sont toujours soldés par une brillante réussite. « Mlle Kowalski.. Votre patiente. Je suis désolée, Willy. Elle a été retrouvée il y a une heure. Elle s'est pendue. »